Comment notre société réagirait-elle, ou plutôt « interagirait-elle », face à l’engagement de nos armées dans un conflit de haute intensité ? Telle est la question qui m’est venue à l’esprit au moment où cette « haute intensité » devient un thème récurrent dans la prise de parole des chefs militaires et des analystes professionnels.
Il est de bon ton de citer Marc BLOCH et son « Étrange défaite ». Comme cela a été développé par une autre contribution à ce dossier, avant 1940, aucun esprit informé et rationnel ne pouvait ignorer la menace évidente que faisait peser l’outil militaire mis sur pied par l’Allemagne nazie. La guerre civile en Espagne avait été là pour l’illustrer. Mais, très majoritairement, « la société de l’Avant-guerre » refusa d’envisager cette menace et les mesures préventives qu’elle appelait. La société, c’est-à-dire les citoyens, leurs représentants politiques, et les relais d’opinion les plus influents parmi la presse et l’intelligentsia, qui presque tous trouvèrent leur compte dans « la drôle de guerre sans coup de fusil. »
Avant toute chose, comment peut-on caractériser aujourd’hui « l’engagement majeur » pour reprendre le terme choisi par le chef d’état-major des armées (Le Monde, 14 juillet 2020) ?
Tout d’abord l’ennemi. Ce sera forcément un État, et non plus une nébuleuse terroriste sponsorisée. Un État parmi les quelques-uns que l’on qualifie de « souverainiste et autoritaire » et disposant de moyens militaires aussi complets que ceux que nos armées revendiquent. La liste en est courte et connue. Notons au passage que la petite demi-douzaine d’États auxquels tout le monde pense bénéficient en France de nombreux sympathisants, y compris au sein du personnel politique et des relais d’opinion influents.
Ensuite, « pour quoi combattrons-nous ? » Sans doute pas pour la survie physique de notre pays et de sa population. L’enjeu visible sera donc limité et géographiquement assez lointain, même si sa valeur réelle devrait être forte en termes économiques (liberté de circulation…), géopolitiques (respect des frontières établies…) ou moraux (respect du droit humanitaire…). Autant dire que cet engagement majeur pourra facilement être qualifié par l’un ou par l’autre d’ingérence malvenue, comme ce fut le cas, dans un autre cadre, lorsque la France proposa, voire imposa, son aide au Liban après les explosions d’août 2020. Quant à l’enjeu humain, peu de chances qu’il soit perçu par l’opinion publique et les médias avec autant d’acuité que lorsque les attentats de novembre 2015 laissèrent 130 corps sans vie dans les rues de PARIS.
Ce « pour quoi nous combattrons » fait que nous ne combattrons certainement pas seuls. Nous serons au sein ou à la tête d’une coalition ? Tous ses membres seront-ils en odeur de sainteté auprès de nos compatriotes ? Il y en a au moins un, quasiment incontournable, dont la cote est aujourd’hui au plus bas, alors que peu de gens savent combien il nous aide activement mais discrètement au Sahel.
Enfin, « à quoi cela ressemblera ? » À ce dont au fond de nous-mêmes, militaires, n’avons pas totalement fait notre deuil à l’issue de la guerre froide : la vraie guerre, celle de la vraie tactique, feu, mouvement, protection, avec les unités blindées manœuvrant en offensive / défensive, appuyées par des feux puissants, terrestres et aériens, le tout valorisé par les nouvelles technologies du numérique et de la robotique. Une valorisation sur laquelle repose l’espoir de limiter les pertes humaines, directes ou collatérales, et les destructions matérielles, puisque les experts nous disent qu’il y a plus de chance que cela se passe dans une région côtière urbanisée plutôt qu’aux confins du désert de Gobi. Mais des pertes, au minimum des pronostics de pertes alarmants, il y en aura, sans doute frappantes dans les cœurs et les esprits de la population.
Pour terminer, n’oublions pas que les analyses stratégiques traduites dans les livres blancs successifs s’accordent pour établir que cet engagement majeur ne se concrétiserait sur le terrain qu’à l’issue d’une période de crise diplomatique, période indispensable à la montée en puissance du gros de la force à déployer, mais propice à la multiplication des débats biaisés sur l’opportunité, la légitimité, la nature et les risques de l’engagement.
Venons-en maintenant à la société qui serait confrontée à cette « hypothèse d’un engagement majeur ». On peut la décrire, de façon sans doute caricaturale, au travers de ses attentes et de ses comportements collectifs actuels.
C’est la société qui vient de traverser la crise sanitaire et ses débats à n’en plus finir, au mieux contradictoires, pour beaucoup sans fondements rationnels, c’est la société qui se mobilise pour la défense de la biodiversité, pour le « vivre et produire local », et qui combat les « 200 qui nous empoisonnent » sans précisément savoir les nommer, c’est la société qui s’enflamme lorsqu’un afro-américain meurt sous les coups de sa police et qui fait de chaque sujet sociétal un combat idéologique et systémique, c’est la société qui se déchire sur le difficile équilibre à trouver à moyen terme entre les nécessités socio-économiques du court terme et les enjeux environnementaux et humains du long terme. Un équilibre où la détermination des court, moyen et longs termes est d’emblée sujet à discussion passionnée.
C’est désormais une société multiculturelle où le débat est permanent, ouvert, souvent non maîtrisé ou maîtrisable, « viral » dit-on, avec autant d’experts que d’internautes, et surtout où la parole des experts qualifiés et des responsables en poste n’est ni reconnue d’emblée, ni tout simplement audible.
Cette description de la société est caricaturale car l’opinion publique (la France d’en bas) est assez partagée sur tous ces sujets. En revanche, elle traduit à mon avis le bruit médiatique et la production intellectuelle qui transpirent de la France d’en haut…
« En face », qu’en serait-il ? Les sociétés des pays que nous avons en tête possèdent tous une frange contestataire, populaire au mieux, intellectuelle au minimum. Nos médias, nos intellectuels, une partie de notre personnel politique s’en font les relais, à juste titre. Mais force est de constater que ces pays ont une population souvent très homogène sur le plan culturel, pour ne pas dire sur le plan « ethnique ». L’opinion publique et ses relais y suivent majoritairement la ligne des responsables politiques.
Cette ligne politique s’appuie de plus en plus sur un récit national puisant au plus profond de leur identité historique, de leur « nationalisme », à l’opposé des récits nationaux sur lequel se fondent nos sociétés démocratiques ouest-européennes. La Russie s’inspire autant de Pierre le Grand que des souvenirs du « bon temps » de l’Union soviétique ; la Turquie rêve de la zone d’influence ottomane, mais exclusivement en langue turque ! À l’opposé, notre récit national ne débute en fait qu’en 1789, en prenant soin de gommer l’épisode napoléonien, de renier l’expansion coloniale et de ne surtout pas qualifier de « grande guerre patriotique » une première guerre mondiale dont les souffrances et les sacrifices sont désormais volontiers imputés aux responsables politiques et militaires français qui y furent confrontés.
Ajoutons pour terminer, que ces pays se sont dotés de moyens, législatifs et techniques, leur permettant de contrôler, voire d’interdire, l’accès de leur population à la presse libre, à internet et aux réseaux sociaux. En dépit d’un arsenal législatif relativement étoffé, mais orienté face à la menace terroriste, on voit mal comment de telles actions pourraient être mises en œuvre en France, à grande échelle et « pour la durée de la guerre ». La censure récente de la loi « AVIA » par le Conseil constitutionnel augure de l’intensité des débats qu’elles ouvriraient.
Ma conviction est donc que dans « l’hypothèse d’un conflit majeur », notre opinion publique, mais également tous les médias et relais d’opinion, ainsi qu’une partie des acteurs de l’action publique, verraient leurs lignes de fractures préexistantes exacerbées à un rythme exponentiel par un débat sur la légitimité de l’engagement, par une profusion incompréhensible de commentaires d’experts autoproclamés et contradictoires, par les « Fake news » venant de l’extérieur comme de l’intérieur, par la mise au premier plan émotionnel de situations individuelles dramatiques, mais hélas anecdotiques dans ce contexte. Le risque est qu’un tel emballement de la société soit la source de l’échec de cet engagement avant même qu’il se concrétise réellement sur le terrain. La porte ouverte sur une nouvelle « étrange défaite »…
Alors, « Que faire ? » pour que les efforts que nos armées produisent pour se préparer à cette hypothèse ne soient pas vains.
Une première réflexion porte sur la période de montée en puissance qui a été évaluée à plusieurs mois. Elle est le fruit d’un compromis construit lors des travaux de livre blanc pour concilier la volonté des armées de conserver un modèle complet capable de répondre à l’hypothèse la plus haute, et l’impossibilité récurrente dans laquelle se trouvaient les décideurs politiques d’accorder d’emblée un niveau de ressources suffisant. On part donc du principe que lorsque les prémices de la crise majeure seront suffisamment explicites, une mobilisation rapide des moyens nationaux permettra d’atteindre en un petit semestre le volume nécessaire de forces et de capacités, petit semestre qui au demeurant serait le cadre des manœuvres diplomatiques ou d’actions militaires préliminaires.
Or, désormais, dans le contexte sociétal analysé plus haut, une telle durée de montée en puissance ouvre la voie à l’emballement médiatique et contestataire, ne serait-ce
que parce que reconnaître ce besoin de montée en puissance constitue en soi un aveu de faiblesse ou d’impréparation (« les masques de la crise sanitaire »), terreau de tous les fantasmes et commentaires malveillants.
Parler d’engagement majeur de haute intensité nécessite aujourd’hui de réduire cette période préliminaire. Ces dernières années, les armées ont démontré à plusieurs reprises leur capacité à mettre sur pied très rapidement des moyens importants : projection au Mali en 2013, déclenchement de l’Opération SENTINELLE, Opération RÉSILIENCE. Certes, on peut toujours trouver à redire dans les détails et chacun n’a pas eu sa douche chaude dès le premier soir ! La question ne vient pas de la capacité des armées à mobiliser leurs hommes, y compris leurs réservistes. Là où le bât blesse, c’est dans les soutiens : les stocks de munitions, le système de maintenance et sa capacité à se projeter loin rapidement, les goulots d’étranglements des moyens de transport routiers comme aériens, les moyens du service de santé. Une partie de ces difficultés tient à l’absence de choix clair entre la possession de moyens propres aux armées, en régie, et le recours à des opérateurs économiques privés. Plus qu’un choix entre l’une ou l’autre des solutions, c’est la capacité légale et contraignante de mobiliser les industriels qui doit être établie à froid, et non au moment où le besoin se déclenche.
Une fois garantie la capacité à s’engager rapidement, et avec elle l’assurance d’une moindre vulnérabilité aux assauts des réseaux sociaux et des commentateurs en continu, le risque suivant est celui de « l’enlisement », dont désormais on parle dès les premiers jours de combat, pour peu que ceux-ci s’avèrent difficiles ou tardent à déboucher sur des résultats positifs visibles. Par conséquent, il faudra que les affaires soient rondement menées, donc agir vite et fort !
Face à un adversaire étatique, dans une confrontation de nature symétrique pour les moyens de combat conventionnels, chacun devra accepter que la force soit employée sans retenue, avec des modes d’action offensifs et puissants, y compris par la mise en œuvre de toute la panoplie des moyens de neutralisation et de destruction. L’engagement en Libye de 2011 est un bon exemple de cette foudroyance, mais l’adversaire était-il vraiment en mesure de répondre ?
Cela suppose, entre autres sujets, que soit rapidement tranchés tous les débats sur l’utilisation offensive des nouvelles technologies : lutte cybernétique, robotique de combat… Au-delà de la prise d’ascendant sur l’adversaire, approche militaire classique, il s’agit de faire la démonstration à notre propre camp que « ça va marcher, et que de toute façon, c’est bientôt fini ! »
Pour atteindre ce but, il faut que tous les responsables soient dès le début bien alignés sur les objectifs et la façon énergique de les atteindre : politiques, diplomates, militaires. Alignés sur le plan national, mais aussi alignés au sein d’une éventuelle coalition, dont les processus d’analyse et de décision ne doivent pas être lents et compliqués. Inutile d’illustrer le propos par un rappel des mésaventures tragiques de la FORPRONU. Envisager l’hypothèse qu’une part significative de nos moyens militaires seraient utilisés dans un engagement majeur de haute intensité pose donc aussi la question du degré d’autonomie de commandement et d’action que nous devons conserver pour éviter l’engluement dans une coalition peu productive.
De ces deux réflexions, « pourvoir agir vite et agir fort, avec une panoplie complète de moyens », découlent une grande partie des besoins que les armées sont en droit d’exprimer pour répondre à l’hypothèse d’engagement majeur, au-delà du seul volume de forces disponibles. Qu’il s’agisse de développer de nouvelles capacités ou d’améliorer celles existantes, ces besoins sont identifiés depuis longtemps. Reste à les concrétiser lors des prochaines étapes de la programmation militaire et de sa traduction politique.
Il est cependant un domaine qui relève avant tout du commandement, mais qui nécessite d’être bien compris par tous : les forces morales des armées, que certains baptisent volontiers de « capacité de résilience ».
L’objectif est de maintenir les soldats en dehors du débat sur la légitimité d’un engagement interétatique et les risques humains qu’il comporterait. Outre les seuls militaires, acteurs premiers, cet objectif concerne également ce que j’appellerai « leur environnement affectif », c’est-à-dire leurs familles élargies, voire leur cercle d’amitiés.
On se souvient que c’est l’accès à l’information via leurs « transistors » qui détermina en grande partie l’attitude des appelés pendant les événements d’avril 1961 en Algérie. Tout récemment, lors de l’épisode de contamination du porte-avions Charles DE GAULLE, on a pu mesurer l’influence des réseaux sociaux et du lien numérique avec les familles dans la perception du risque par l’équipage, en concurrence avec l’action du commandement.
Dans l’hypothèse qui nous occupe, les militaires et leurs familles seront les premières cibles des actions de décrédibilisation et de dramatisation. Même à défaut de ciblage précis, ils constitue
ront un point de fragilité de la détermination politique à s’engager à tout prix.
Le commandement, à tous les niveaux, sait comme forger les « forces morales ». Ce sujet a été abordé en détail dans le dossier du G2S sur L’éthique du métier des armes[1].
Les expériences récentes de combat de haute intensité, en Afghanistan et au Sahel, ont rappelé le rôle de la discipline, des procédures partagées, de l’autonomie à donner au chef sur le terrain. Elles ont permis de mieux maîtriser les risques inhérents aux unités composites et à l’effet de sidération puis d’excitation du baptême du feu. Toutefois, même sur ces théâtres d’opérations lointains et quelque peu marginaux aux yeux de l’opinion publique, on a pu voir lors de certains moments difficiles à quel point l’emballement médiatique et, déjà la désinformation, pouvaient fragiliser la détermination à aller de l’avant. Je pense notamment aux étés 2008 et 2011 en Afghanistan.
Donc, par-delà la constitution classique d’un « moral d’acier », je pense qu’il faut réfléchir à la nécessité de protéger les soldats en les isolant de ce risque d’emballement, quitte à prendre des mesures à contre-courant de tout ce qui a été fait depuis une quinzaine d’années en matière de maintien du lien permanent avec les familles et d’accès à internet. N’oublions pas qu’aujourd’hui, le soldat engagé au Sahel peut faire une « visio » avec sa famille ou commander un DVD (Digital Versatile Disc / Disque numérique polyvalent) sur AMAZON, presque chaque soir !
Ne pourrait-t-on pas préparer nos soldats (de tout grade !) et leurs familles à un retour au courrier postal classique, par exemple en les y entraînant lors des activités de préparation opérationnelle loin de la garnison, ou à l’occasion des missions sur le territoire national. Nul doute cependant que des actions de ce type devront être bien présentées, et défendues vis-à-vis de tous les intervenants de la condition militaire, désormais nombreux et très actifs au sein et à l’extérieur des armées.
Il va de soi qu’une telle politique d’isolement des soldats ne peut pas s’imaginer sans un accompagnement fort de leurs familles en garnison. Celles-ci seront soumises à un déferlement de rumeurs, de fausses nouvelles, voire à un harcèlement de la part de média qui, faute de disposer de renseignements suffisants, viendront chercher auprès d’elles des témoignages de terrain leur permettant d’alimenter leur flux continu de débats. Protéger les familles, et dans une certaine mesure pouvoir en maîtriser les réactions émotives, devient dès lors un impératif qui dépasse l’attention qui leur est portée aujourd’hui lors des opérations extérieures. Si la chaîne spécialisée de la condition militaire et le réseau associatif ont leur rôle à jouer, cela passe avant tout par la chaîne de commandement, depuis le niveau central où se déterminent les contenus, jusqu’à la garnison chargée du contact humain adapté à chaque situation. D’où l’intérêt de structurer à froid cette action, et de veiller à ce que, localement, les compétences soient entretenues et surtout maintenues lorsque l’engagement majeur drainera toutes les ressources vers le cœur de métier opérationnel.
Cependant, dans une armée professionnalisée dont la plupart des soldats sont de jeunes célibataires, la notion de famille va bien au-delà de leur garnison. Or dans le passé récent, ce sont ces familles éloignées et isolées, souvent sans lien avec le milieu des armées, qui ont été le plus fortement ébranlées par les incertitudes ou les aléas des engagements opérationnels. Vouloir les toucher directement de façon régulière s’avère impossible. Leur information pertinente s’insère alors dans celle destinée à l’opinion publique dans son ensemble. Il faut donc, pour terminer, se pencher sur le modèle de communication « grand public » qui devrait accompagner l’engagement de nos armées.
Face à une société sans préparation à une telle situation, confronté à des médias qui, aiguillonnés par la concurrence, mêlent rapidement information peu vérifiée et investigation intrusive, les responsables politiques et militaires ont tout intérêt à prendre l’initiative et la conserver.
L’exemple récent de la crise sanitaire montre à quel point, dans une situation « hors du commun », le poids des perceptions prend rapidement le dessus sur l’analyse raisonnée des évènements, tandis que chacun vit cette situation avec ses croyances et convictions antérieures, sans vision du contexte du moment et de l’intérêt général.
Le fait que « l’action, ce sont des hommes soumis aux circonstances » n’est plus compris, ni admis, et rapidement un échec même local ou temporaire est vite transformé en erreur, puis en faute, surtout s’il y a des vies humaines à la clé. La recherche à chaud des responsables ad hominem suit logiquement.
L’information en continu se nourrit de tout ce qui lui tombe sous la main, et même la fausse nouvelle devient une opportunité, opportunité d’ouvrir sur un démenti, sur un débat sur « qui dit vrai ? », avant le prochain rebond… Dans le contexte d’une crise internationale, les influenceurs extérieurs, pilotés par l’adversaire, viendront alimenter cette mécanique infernale.
L’opinion publique devient une dimension du champ de bataille, une dimension stratégique mais surtout tactique, au jour le jour. C’est une réalité que les accidents industriels récents, et surtout la crise sanitaire viennent de nous rappeler. Les responsables politiques et militaires doivent donc concevoir et préparer cette manœuvre pour conserver « les cœurs et les esprits » de nos concitoyens pendant toute la durée de guerre, puisque c’est d’une guerre qu’il s’agira dans les perceptions de tous.
La communication politico-technique pendant la crise sanitaire fournit peut-être un modèle à méditer. Le point de situation quotidien du Directeur général de la santé, équivalent hiérarchique de nos plus hauts responsables militaires, a créé un lieu et un moment pour conduire cette manœuvre tactique de communication. Régulièrement renforcé par l’intervention directe des autorités politiques et illustré par celles d’opérationnels de terrain (les médecins en première ligne), il a permis de fournir des informations documentées et commentées, de contredire les fausses informations des dernières 24 heures, de délimiter les zones d’incertitudes, une façon de montrer qu’elles sont maîtrisées, de « mettre de l’humain » dans le récit journalier des « opérations ».
Je pense que ce modèle doit être envisagé pour la communication officielle en amont et pendant un engagement majeur de nos armées. Reste à franchir l’obstacle du choix de qui « montera au pupitre », du Quai d’Orsay, des Armées, du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN)… Mais là encore la crise sanitaire a montré l’exemple du travail d’équipe. Reste également à ne pas faire du SECRET DÉFENSE le voile qui recouvrira toute la communication, au risque d’alimenter les flux de désinformation.
Au passage, qu’il s’agisse d’intervenir au profit des membres de la communauté militaire ou de conduire cette manœuvre de communication plus politique, le besoin de conforter les « cœurs et les esprits » souligne le caractère délétère du débat récurrent sur les moyens, jugés toujours excessifs, que les armées consacrent à leur communication interne et externe.
Pour une Nation multiculturelle, fortement connectée mais individualisée, et peu préparée à l’inconfort du risque non choisi, la désinformation constitue une agression systémique importante. Il ne faudrait pas qu’à un rythme viral, elle produise sur notre population l’effet que les bombardiers britanniques n’ont pas réussi à obtenir laborieusement sur « les arrières » allemands entre 1943 et 1945.