Appel aux dons
La SAMA s'associe à la campagne d'appel aux dons lancée par le musée de l'Armée pour la restauration de l'obusier "à la Villantroys" de la cour d'honneur de l'Hôtel national des Invalides.
un projet d'étudiantes passionnées
4 avril 2024 - 19 heures
mairie du 7e arrondissement
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4 avril 2024 - 19 heures
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Découvrez autrement les Invalides lors d'une conférence sur la restauration de l'obusier "à la Villantroys" exposé dans la cour d'honneur. Ce projet, mené par des étudiantes passionnées d'art, est une invitation à préserver notre patrimoine.
Alice Bigeard - Clara Demarty
Ce projet est soutenu par la Société des Amis du Musée de l'Armée
Article tiré de la revue de la Société des Amis du Musée de l’Armée N° 140 - 2010 - II*
Les obusiers à la Villantroys
Christophe Pommier Département Artillerie du musée de l’Armée
Le musée de l’Armée conserve dans ses collections deux pièces d’artillerie imposantes et de très gros calibres. Exposées aux angles sud-est et sud-ouest de la cour d’honneur de l’Hôtel national des Invalides, ces obusiers conçus il y a un peu plus de 200 ans par le colonel de Villantroys sont sûrement les armes les plus imposantes et les plus spectaculaires réalisées par le Premier Empire.
Une arme nouvelle
À la suite des victoires de la deuxième campagne d’Italie (1799-1800), et en attendant la signature d’un traité de paix, Napoléon Bonaparte profite de cette période de répit pour réformer l’artillerie. Il convoque un conseil extraordinaire auquel il confie un projet de modernisation de l’ensemble de l’artillerie de terre. Bonaparte souhaite notamment une réduction du nombre des calibres employés, ainsi qu’un perfectionnement des affûts, avant-trains et matériels d’accompagnement.
Les matériels créés ou modifiés par ce conseil sont adoptés le 2 mai 1803, sous le nom de système de l’an XI.
Napoléon désirait également posséder du matériel d’artillerie à très grande portée, afin d’assurer la défense des côtes et la protection des ports, redoutant sans doute de futures actions anglaises. Il prend connaissance des travaux du colonel Pierre-Laurent de Villantroys sur les bouches à feu à grande portée. Après étude, les recherches du colonel de Villantroys sont jugées très intéressantes et on l’invite à poursuivre ses travaux, tant sur la conception du tube, que sur celle de son affût, de ses projectiles et de son emploi. Il fait fondre à Douai un obusier en bronze du calibre de 9 pouces, possédant huit calibres de longueur d’âme. Le 29 septembre 1804, il procède aux premiers tirs, qu’il compare à ceux du mortier à plaque de 12 pouces ; les deux matériels ont été testés lors des mêmes séances.
Ses essais sont concluants : à angle de tir (42 degrés) et à charge de poudre (30 livres) égaux, la portée moyenne de l’obusier est de 4 650 mètres, soit 870 mètres de plus que celle du boulets creux explosifs – brûlent effectivement le temps de combustion prévu, sans extinction prématurée et permettent un effet d’explosion redoutable. L’année suivante, en 1805, l’étude interne du prototype montre qu’il est dans un état satisfaisant, ce qui rend vraisemblable une longue durée de service.
Cependant, la reprise des hostilités en Europe absorbe une grande part des crédits. La défense des côtes n’est pas l’une des principales priorités, aussi la mise en service de ce nouveau matériel n’est-elle pas effectuée.
Il faut attendre une circonstance particulière, liée à l’intervention française en Espagne.
Le siège de Cadix (1810-1812)
À la fin de l’année 1809, seules la Galice et l’Andalousie échappent au contrôle des armées françaises en Espagne. Au début de l’année 1810, Joseph Bonaparte, alors roi d’Espagne, décide une grande offensive sur l’Andalousie et, sous les ordres du maréchal Soult, une armée de soixante mille hommes,
composée des I er corps d’Armée (CA) (maréchal Victor), IVe CA (général Sébastiani) et Ve CA (maréchal Mortier), se met en marche.Le 23 janvier 1810, Victor prend Cordoue, le 28 Sébastiani s’empare de Grenade, tandis que le 1 er février, c’est Séville qui est conquise.
À partir du 5 février, Victor commence le siège de Cadix, avec une armée d’environ vingt-cinq mille hommes. Cette ville portuaire, dotée d’un important arsenal militaire, est située sur un rocher relié au continent par une langue de terre plate, au bord d’une baie ouvrant sur l’Océan Atlantique. Elle est défendue par vingt mille Espagnols et cinq mille Anglais et elle est ravitaillée en vivres et en hommes par la marine britannique. Les coalisés – sous les ordres
du duc d’Albuquerque – ont également pris position sur l’île de Léon, vaste zone de marais salants qui défend l’accès à l’isthme menant à Cadix, et tiennent les forts qui protègent la ville et sa baie. Les batteries d’artillerie françaises ne peuvent pas s’approcher à moins de cinq kilomètres de la ville, ainsi protégée.
L’organisation de l’artillerie de siège est confiée au général de Sénarmont – commandant en chef de l’artillerie du maréchal Soult –, assisté du général d’Aboville. Ils travaillent à mettre en place une première batterie de siège de 24 bouches à feu (canons et mortiers), ainsi qu’à armer et approvisionner toute une suite de redoutes afin d’investir Cadix et l’île de Léon.
La prise du fort de Matagorda, le 22 avril, va permettre à Sénarmont d’installer une batterie à un peu moins de quatre kilomètres de Cadix.
Mais très vite, Sénarmont doit se rendre à l’évidence : malgré tous les travaux d’approche effectués, Cadix reste hors de portée des positions d’artillerie. Les plus puissants mortiers n’envoient leurs bombes qu’à un peu plus de trois mille cinq cent mètres, et uniquement dans de bonnes conditions atmosphériques ; ces performances demeurent toujours insuffisantes pour forcer la reddition des Espagnols.
Au début de l’été 1810, Sénarmont va alors faire fabriquer à Séville (9) un obusier de 8 pouces en fonte de fer du type de ceux conçus par Villantroys. Chargée à 20 livres de poudre, cette pièce tire des obus d’environ 35 kg à près de 4 800 mètres : le bombardement effectif de Cadix va pouvoir commencer.
En France, Napoléon est au courant des problèmes rencontrés par son artillerie et demande que l’on fasse « faire un projet pour des pièces propres à tirer des bombes ou obus de huit pouces ».
Le 26 octobre, tandis qu’il inspecte les redoutes françaises, Sénarmont est emporté par un obus. Le commandement de l’artillerie est confié au général Ruty, qui commandait jusque-là l’artillerie du grand équipage de siège de l’armée d’Espagne.
Le premier tir de l’obusier a lieu le 1 er décembre. Si le projectile atteint le centre-ville de Cadix, il n’explose pas, tout comme les suivants. En effet, le mouvement de rotation, amplifié par la puissance et la longueur du tir, éjecte les fusées de leur emplacement dans l’obus, ceux-ci tombent alors sans exploser. Leur première peur passée, les Espagnols prennent le parti de rire de la situation, même s’ils se savent maintenant sous la menace réelle de l’artillerie française.
Une chanson de l’époque atteste d’ailleurs de l’humeur gaillarde des assiégés :
« Vayanse los franceses
Allez vous-en les Français
en hora mala;
dans une heure mauvaise ;
que Cádiz no se rinde
car Cadix ne se rend pas
ni sus murallas.
et ses remparts non plus.
Con las bombas que tiran
Avec les bombes que tirent
Los fanfarrones
les fanfarons
hacen las gaditanas
les Caditanes se font
tirabuzones.
des bouclettes.
Con las bombas que tira
Avec les bombes que tire
el mariscal Soult,
le maréchal Soult
hacen las gaditanas
les Caditanes se font
mantillas de tul. »
des mantilles de tulle.
À partir de la fin de l’année 1810, Cadix, en accueillant les Cortès (l’assemblée des députés), devient la capitale politique de l’Espagne insurgée. Se définissant comme les représentantes de la « nation espagnole », les Cortès luttent contre le régime français et œuvrent au futur politique de l’Espagne postnapoléonienne. La ville devient alors un objectif autant politique que militaire. L’Empire doit déployer de nouveaux moyens pour en venir à bout.
L’ordre de fabriquer d’autres obusiers à la Villantroys a déjà été donné, et au printemps 1811, c’est une batterie de douze bouches à feu de ce type qui bombarde Cadix. Les travaux de Ruty ont permis d’améliorer la fiabilité des fusées d’amorce et les obus commencent à être un peu plus efficaces, en explosant dans la ville. Malgré ces progrès techniques, l’approvisionnement en poudre et en projectiles est insuffisant et ne permet pas aux Français d’entretenir un feu nourri permettant de faire plier la résistance andalouse.
Ils doivent se contenter de harceler la ville par des tirs irréguliers et espacés, et essuient en plus des attaques anglo-espagnoles cherchant à faire lever le siège, comme celle de Barrosa, le 5 mars 1811. Au cours de cette bataille, les coalisés qui attaquent les troupes du maréchal Victor sont battus, mais cet échec est sans influence sur la suite du siège.
En France, l’Empereur s’inquiète et demande que les essais sur les obusiers continuent, pour obtenir rapidement une arme susceptible de faire plier Cadix et pour servir à la défense du littoral. En revanche, il ne semble pas remédier au manque de munitions. Après avoir eu la confirmation de la réussite des essais demandés (ceux-ci ont été effectués à La Fère en 1811), il fait passer commande, le 10 février 1812, de quatre pièces du calibre de 11 pouces: deux sont réalisées à la fonderie de Liège, les deux autres le sont à celle d’Indret (Loire-Atlantique). Les obusiers et leurs affûts sont en fonte, les fonderies citées produisant habituellement des pièces destinées à la marine. La commande aurait dû être livrée pour le 1er mai, afin que les pièces soient acheminées vers Cadix le plus vite possible. Mais si Léonard, maître fondeur à Liège, les livre en juillet et août 1812, Demangeat, l’entrepreneur d’Indret, ne livre les siennes qu’en septembre 1812 et juin 1813. Or, en Espagne, la situation a changé.
À la suite de sa victoire aux Arapiles, le 22 juillet 1812, Wellington est entré à Madrid le 12 août suivant. Soult abandonne l’Andalousie pour rejoindre l’armée du Centre, et tenter de reprendre Madrid. Le 24 août, après un dernier bombardement, les troupes françaises, commandées par le général Semellé (qui a remplacé Victor), se retirent des abords de Cadix, en laissant derrière eux presque tout l’ensemble de leur artillerie de siège. Très vite, les coalisés vont inspecter les camps français et découvrent les obusiers à la Villantroys, abandonnés pour ne pas retarder la retraite française. L’un d’eux, en fonte de fer et d’un calibre de 11 pouces et qui fut coulé à Séville en 1812, a été offert par les Espagnols aux Anglais, en remerciement de leur aide pendant la guerre.
Aujourd’hui exposé à Whitehall, entre l’Amirauté et le quartier des Horse Guards, cet obusier est plus connu des Londoniens sous l’appellation de « lance-bombes du Régent ». La présentation du tube est pour le moins originale : celui-ci a été enlevé de son affût originel et placé sur un affût fantaisiste réalisé en 1814 à l’arsenal de Woolwich. L’obusier est ainsi supporté par un dragon ailé, les tourillons étant enlacés dans une double queue écaillée et la culasse butant sur deux têtes de chiens à l’air féroce. Cette « sculpture-affût » fantastique aurait été inspirée par le contexte mythologique lié à Cadix : lors du dixième des travaux d’Hercule, le demi-dieu doit voler le troupeau de bœufs du monstre tricéphale Géryon (accompagné par son chien bicéphale Orthros). Or, l’action se déroule dans l’île d’Erythie, que la légende situe dans les parages de Cadix. Sur le socle, une inscription en anglais et en latin, traduite ci-après, indique l’origine du trophée, et en explicite le nom : « Pour commémorer la levée du siège de Cadix, conséquence de la glorieuse victoire remportée sur les Français près de Salamanque le 22 juillet 1812 par le duc de Wellington, ce mortier, fondu pour détruire ce grand port et d’une puissance surpassant tous les autres, a été abandonné par les assiégeants en retraite et offert par la nation espagnole à Son Altesse le prince-régent en témoignage de respect et de gratitude(< » Quant aux quatre obusiers de Liège et d’Indret, on ne sait pas aujourd’hui ce qu’ils sont devenus.
Les obusiers des Invalides Les deux obusiers conservés par le musée de l’Armée n’ont pas participé au siège de Cadix et n’ont pas été fabriqués à cette intention. Ces pièces ont été fondues (en bronze) à Douai en 1810 par Jean Bérenger, qui a auparavant réalisé le prototype de 1803, sur ordre de Napoléon I er afin d’effectuer des tests pour accroître ses performances. De Douai, elles ont été transférées à l’école d’artillerie de La Fère pour des essais. Deux campagnes de tirs sont effectuées, début 1811 et début 1812. Les généraux Andréossy et Lariboisière et les colonels Drouot et Villantroys composent la commission chargée de travailler sur l’amélioration de la portée des bouches à feu et supervisent ces épreuves.
Dans une lettre au général Clarke, l’Empereur se réjouit des résultats de la première session d’essais, et estime que les 5 800 mètres de portée sont « un prodigieux résultat », qu’« il faut continuer ces épreuves avec la plus grande activité » et termine sa correspondance en félicitant le colonel de Villantroys. Après ces résultats positifs, Napoléon ordonne de continuer les essais sur ces matériels « pour trouver la possibilité d’atteindre à 3 500 toises » (soit 7 900 mètres(16)). Il demande également que ces essais « se fassent en cachette et soient couverts du plus grand mystère, pour que l’ennemi ne les connaisse pas, et que tout cela soit environné d’un peu de charlatanerie ». Il envisage ensuite la production de dix obusiers afin d’armer les points sensibles du littoral français comme le golfe du Morbihan, l’estuaire de la Charente et la rade d’Hyères, où les velléités d’insurrections anglaises sont de plus en plus grandes et l’inquiètent beaucoup.
A terme, il souhaite équiper les forts et redoutes de ces régions par des obusiers à la Villantroys. Mais pour des raisons inconnues, probablement d’ordre budgétaire, aucun obusier n’a été fondu pour défendre le littoral, et ceux de Douai n’ont pas rejoint leurs affectations côtières après la fin des épreuves de tir ; ils sont restés à l’école d’artillerie. Lors de la campagne de France, les Prussiens pénètrent en Picardie au début du mois de février et atteignent La Fère le 28 février 1814. En prenant possession de l’école d’artillerie, ils découvrent les deux obusiers, et devant leur caractère tout à fait exceptionnel, décident de les transférer à Berlin, pour y être exposés comme trophées de guerre. L’officier prussien chargé de leur enlèvement, le lieutenant d’artillerie Mente, a laissé un témoignage assez précis du début du transfert. Tout d’abord, les Prussiens confectionnent quatre chariots spécifiques, deux pour les obusiers, deux pour les affûts, nécessitant respectivement 16 et 12 chevaux. Le convoi, escorté par des blessés légers de la Landwehr, part au mois de mars vers la Hollande (par les actuelles RN 44, puis RN 2), mais les chariots s’enlisent dans les routes boueuses de cette fin d’hiver : l’un des obusiers reste à Vaux (faubourg de Laon, à une vingtaine de kilomètre de La Fère), l’autre est immobilisé entre Marle et Avesnes-surHelpe (une quarantaine de kilomètres plus loin).
Mente fait alors réaliser des chariots plus adaptés, transfère les matériels et remet en route le convoi. Celui-ci subit néanmoins un accrochage avec les troupes françaises de la garnison de Maubeuge, avant d’atteindre Mons, et ensuite de se diriger plus tranquillement vers un port (belge ou néerlandais). Les pièces ont été débarquées à Stettin, puis ont rejoint Berlin, où, pendant 130 ans, elles ont été exposées entre l’arsenal et le corps de garde du palais des rois de Prusse. En mai 1945, à la suite de la bataille de Berlin, l’armée soviétique prend possession des deux obusiers – quelques soldats signent d’ailleurs d’un graffiti sur les pièces leur participation à cette bataille. En octobre 1946, le général Kolikov, commandant du Grand Berlin, restitue ces pièces aux autorités françaises, qui les envoient au musée de l’Armée où elles entrent dans les collections le 6 janvier 1947. Ces obusiers sont aujourd’hui exposés dans la cour d’honneur des Invalides, dans l’angle sud-ouest pour celui de 9 pouces (cote N 193) et dans l’angle sud-est pour celui de 11 pouces (cote N 194). Lors de la Première Restauration, l’une des premières mesures du ministre de la Guerre – le maréchal Soult – fut d’abolir le système de l’an XI(17), jugé décevant, pour revenir au système Gribeauval, plus éprouvé et symbole d’une artillerie développée sous l’Ancien Régime. Le général Ruty, devenu entre temps président du comité d’artillerie, argumenta pour la conservation des obusiers à la Villantroys afin d’assurer la défense des côtes. On décida de doter certaines batteries et redoutes de ces matériels, tel les forts des Glénan ou ceux qui défendaient l’estuaire de la Charente, mais finalement rien ne fut fait pour concrétiser cette volonté.
Mortiers ou obusiers ?
Arme de morphologie nouvelle, l’obusier à la Villantroys possède des dimensions et des performances inédites pour l’époque. Ainsi l’obusier de 11 pouces conservé par le musée de l’Armée pèse en batterie environ 9,5 tonnes : 6 174 kg pour le tube, en bronze ; et près de 3 400 kg pour l’affût. Le projectile, un obus sphérique de 11 pouces de diamètre, pèse 86 kg et a été projeté à environ 5 800 mètres lors des essais effectués à La Fère. Pour obtenir des portées aussi importantes, le colonel de Villantroys a repensé certaines des théories balistiques de l’artillerie. Alors que les obusiers ont traditionnellement une longueur d’âme de trois calibres (ce qui correspond à la longueur de l’avant-bras du servant chargé de placer l’obus au fond de l’âme), Villantroys accroît cette longueur d’âme pour la porter à huit calibres. Il peut ainsi augmenter la vitesse initiale des projectiles, en utilisant de plus fortes charges propulsives. Les nombreux calculs et travaux de recherche ont précisé que celles-ci doivent être comprises entre 1/4 et 1/3 de la masse du projectile, soit environ 25 kg de poudre noire pour un obus de 11 pouces de diamètre. Les parois du tube sont plus épaisses que celles d’un obusier conventionnel afin de résister à l’explosion produite lors de la combustion de la poudre.
Les différentes dénominations dont ont fait l’objet les obusiers à la Villantroys témoignent également de la nouveauté de cette arme. Si le colonel de Villantroys les nomme lui-même obusiers, Napoléon I er voit « avec peine qu’on appelle obusier à la Villantroys ce qui doit être appelé mortier. L’idée d’obus est attachée au ricochet, mais on ne peut pas ricocher avec cette énorme machine ; on doit donc nommer cette pièce mortier à la Villantroys». Si la remarque de l’Empereur n’est pas dénuée de sens, elle occulte la différence morphologique entre ces deux types d’armes que sont le mortier et l’obusier : le premier a une âme courte (moins de deux calibres), alors que le second possède une âme plus longue (généralement trois calibres à l’époque). Au début du XIXe siècle son aspect morphologique détermine l’appellation d’une bouche à feu, il est donc normal que les officiers d’artillerie travaillant sur les obusiers à la Villantroys les aient qualifiés d’obusiers et non de mortiers. L’hésitation terminologique vient du fait que si cette arme possède une morphologie d’obusier quoique nettement allongé, elle est employée comme un mortier : elle tire des projectiles explosifs sous un angle élevé, d’environ 40°. La confusion persiste quand, à la fin du XIXe siècle, le colonel de Bange développe son système d’artillerie, comportant des mortiers de gros calibres (220 et 270 mm) conçus pour les systèmes de siège et de côte. La ressemblance entre ces mortiers et les obusiers à la Villantroys est frappante, notamment en ce qui concerne le tube.
De plus, leurs caractéristiques sont assez proches : calibres équivalents à 8 et 11 pouces et longueurs d’âme autour de dix calibres. L’appellation différente utilisée pour ces deux matériels très ressemblants n’a pu que renforcer le flou autour de la dénomination des obusiers à la Villantroys. L’appellation rétrospective « canon-obusier » a également été employée pour deux raisons. La première est morphologique et tient à la longueur d’âme importante de la bouche à feu qui la fait ressembler plus à un gros canon qu’à un obusier. La seconde est liée à une certaine potentialité d’emploi. Le canon-obusier regroupe dans une seule bouche à feu les deux fonctions distinctes du canon et de l’obusier. Or cette double fonctionnalité est mentionnée dans un ordre de l’Empereur, en août 1811 : « Je désire que vous me fassiez couler comme essai, à la fonderie de Douai, un canon qui puisse tirer des obus de 8 pouces. Faites faire également quelques boulets du calibre de 78, pour tirer avec ces nouvelles pièces, et voir l’effet que cela produirait.» Cependant, cette dernière demande ne semble pas avoir été suivie d’effet et aucun témoignage, ni en France ni en Espagne, ne mentionne l’utilisation de boulets dans une pièce de ce type. Ainsi les projectiles prévus et tirés étant uniquement des obus, on ne peut au sens strict, parler de canon-obusier.
Comme pour le terme mortier, la confusion a pu continuer au début du XIXe siècle avec la mise au point des canons à bombes et des canonsobusiers par le futur général Paixhans. Celui-ci travaille, de 1822 à 1849, à la mise au point de bouches à feu en fonte de fer, pour la marine, capables de tirer aussi bien un boulet massif de 80 livres qu’un obus sphérique de 8 pouces. Après de nombreux essais, les travaux de Paixhans conduisent à l’adoption, en 1827, d’un canon-obusier de 22 cm, puis d’un canon obusier de 27 cm en 1843. Dans les deux cas, il y a ressemblance morphologique avec les obusiers à la Villantroys, dont on sait que Paixhans en a étudié la genèse et les spécificités. Encore une fois, la mise au point de matériels ayant une forte ressemblance avec les obusiers à la Villantroys participe à une certaine confusion dans la dénomination de ces derniers. Pour autant, l’existence et l’adoption des matériels Paixhans et de Bange confirment la justesse des conceptions du colonel de Villantroys. Aujourd’hui, c’est l’appellation d’époque (obusier) qui est préférée et qui explique que ces bouches à feu sont nommées obusiers et non mortiers ; même si le terme d’obusier à longue portée, prenant mieux en compte la morphologie et l’emploi spécifique de cette pièce, aurait pu être utilisé.
Pierre-Laurent de Villantroys (1752-1819)
Né à Paris le 6 janvier 1752, Pierre-Laurent de Villantroys est issu d’une famille noble ancienne (habituée au service des armes ou issue de la robe). Son père fut commissaire des guerres, puis trésorier général de France et secrétaire du roi en la grande chancellerie de France. Il entre le 27 juillet 1771 comme élève à l’école d’artillerie de Bapaume. Le 16 février 1794, alors qu’il vient d’être nommé chef de bataillon deux jours plus tôt, il est fait prisonnier par les Anglais en Corse, lors d’opérations préliminaires au siège de Calvi. Rentré en France en janvier 1796, il réintègre l’armée et participe à plusieurs campagnes.
À partir de novembre 1799, il est membre du Comité central de l’artillerie. Nommé chef de brigade le 20 mars 1800(24), il prend la direction générale des forges de l’artillerie jusqu’en novembre 1803, avant d’être nommé commissaire de l’artillerie près l’administration des poudres et salpêtre. Sa santé s’étant dégradée, notamment en raison de sa période de captivité, il est mis à la retraite le 15 avril 1805, après 33 ans et 9 mois de service et sept campagnes de guerres dans l’artillerie. Il est brièvement rappelé le 27 août pour diriger le parc d’artillerie du corps gauche de l’armée des côtes de l’Océan au camp de Montreuil, et ce jusqu’à la dissolution du camp.
(20) Charles Ragon de Bange (1833-1914) est colonel d’artillerie et directeur de l’Atelier de précision du Dépôt Central de l’artillerie. Il est l’auteur, entre 1877 et 1882, du premier système d’artillerie faisant exclusivement appel à des pièces en acier rayées se chargeant par la culasse. (21) Typologiquement, jusqu’en 1858, un canon est une bouche à feu qui tire un bPar la suite, il est rappelé deux fois : - En juillet 1809, il commande l’artillerie du corps d’observation de l’armée de la Tête de Flandres ; - En 1811 et 1812, il supervise les essais de ses obusiers à La Fère. Le colonel de Villantroys est également l’auteur d’ouvrages et de rapports techniques qui ont compté dans l’évolution de l’artillerie et de la balistique intérieure :
- Observations sur les voitures à deux roues (an V) ; - Projet de règlement pour la réception des fers dans les forges (an XI) ; - Traduction en français (Paris, 1801) des Nouvelles expériences d’artillerie où l’on détermine la force de la poudre, la vitesse initiale des boulets, les portées faites de 1783 à 1787 par Ch. Hutton, Londres, 1788 ;
Quelques observations sur la théorie du général Lamartillère relativement aux longueurs des pièces de canons (1812) ;
- Observations sur l’Essai sur les effets de la poudre dans les armes à feu et dans les mines et sur son supplément, par M. de Cazaux, Paris, 1818
*Un autre article sur les mortiers et obusiers de la cour d'honneur sous la signature de l'ingénieur en chef de l'armement Michel DECKER est disponible dans le N° 95 1987-II de la revue de la SAMA